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ARÉTHUSE

 
Comme ce vent qui souffle et gronde dans les chênes,
Sourd comme mon courroux, âpre comme ma haine,
Je frapperai ton corps vil avec cette corde
Et, surgie avec tes grands cheveux qui se tordent
Dans l’orage, à travers les bois et la feuillée,
Par la pluie et le vent, tu fuiras, fouaillée !
Et moi, tragique avec mes deux mains violentes,
(Elles, faites, hélas, pour le Livre et la Lampe !)
Drapant sur mon Destin plus grave et sans espoir
Le pli mystérieux de mon lourd manteau noir,
Je regarderai fuir dans la forêt farouche
Le cri désespéré qui tordra cette bouche
Et se cabrer, parmi le vent vaste en ses crins,
La Bête aux cheveux d’or qui me léchait les mains.

Mais tu pleures, je vois tes larmes ; il me semble
Qu’une main grave enfin sur ta nuque rassemble
Tes cheveux et te voici douce dans tes larmes
Qui font déjà de toi presque un peu une femme.
Le ciel est noir et voici que la chair s’épure ;
On dirait que cette ombre enfin te transfigure
Et je vois poindre en toi comme une sœur sacrée ;
Je te bénis, sanglot qui l’as transfigurée !

Une cendre avec l’ombre éteint ses cheveux roux,
Elle est moins nue ainsi d’être humble et à genoux.