Page:Régnier - Les Médailles d’argile, 1903.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
151
la nuit des dieux

Et, maintenant, adieu, mon fils. Retourne. Oublie
A la lumière de l’amour et de la vie
Ce monde inférieur où tes yeux ont connu
Ce que les Dieux que tu cherchais sont devenus.
Va-t’en sans regarder derrière toi. Va vivre ;
Car moi qui t’ai conduit je ne peux plus te suivre
Là-haut. Ici mon heure infernale est sonnée
Et j’ai vécu la part de ma terrestre année ;
Je redeviens une Ombre et je rentre parmi
Cette foule, Étrangère et Captive à demi,
Car le printemps m’appelle à la terre et l’automne
Du Tartare profond ramène Perséphone ;
Mais toi que rien n’arrête en la funeste nuit
Va-t’en. Tu reverras l’aurore d’aujourd’hui
Et, du seuil retrouvé de la clarté vivante,
Tes yeux se rouvriront de leur sombre épouvante
Loin de l’Ile cruelle et des farouches lieux
Où rôdent à jamais les fantômes des Dieux.

Pars ; mais en repassant la pierre de ta porte
Secoue avant d’entrer le sable que rapporte
A sa semelle humide encor du noir chemin
Ta sandale trempée au fleuve souterrain.