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L’AVEUGLE


La Tristesse a pesé longtemps sur tes paupières
Du baiser de sa lèvre grave et du poids las
De sa bouche, et tes yeux qui ne souriaient pas
Restaient clos dans la nuit de ta face de pierre ;

Et tu marchais ainsi aveugle à l’aube claire
Dans l’écho où de toi semblaient s’enfuir tes pas,
Et dans ton âme sombre où tu errais, là-bas,
Les arbres se mouraient de l'étreinte du lierre ;

Et, dans l’or doux des jours et l’argent des matins,
Tu ne voyais, hélas ! sous tes pas incertains
Ni les fleurs s’entr’ouvrir, ni voler les colombes,

Ni, dans le crépuscule ébloui de son sang
Qui saigne goutte à goutte où le pétale tombe,
Une rose divine en flamme dans le vent !