Aller au contenu

Page:Régnier - Portraits et Souvenirs, 1913.djvu/116

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

110 PORTRAITS ET SOUVENIRS

pas plus, il me semble bien, que les autres romantiques, encore qu’il leur rendît, en partie, justice, ainsi qu’à Leconte de Lisle et à Baudelaire. Mais ses sympathies s’arrêtaient là, et, pour le reste des rimeurs contemporains, il les enveloppait dans le même dédain souriant et brutal. Tout l’effort poétique de son temps lui était indifférent. Il le tenait pour non avenu, et la poésie actuelle lui paraissait suffisamment représentée par lui-même et par ses disciples.
Cette attitude, on en conviendra, eût dû lui valoir l’animosité de ses confrères. Eh bien ! non, il n’en fut rien. Le désintérêt où il nous tenait était si franc, si naturel, si naïf que l’on ne pouvait vrai- ment pas lui en vouloir. On lui passait cette négation de tout talent, parce qu’il en avait lui-même beaucoup et parce qu’on lui était reconnaissant qu’il en eût autant. Et puis, nous avions de l’amitié et du respect pour cet Athénien qui avait délaissé les rives du Céphise pour les berges de la Seine et qui avait rendu un si noble hommage aux Muses françaises ! Qu’importaient alors les quelques boutades pittoresques où il exprimait énergiquement ses opinions dédaigneusement définitives. De ces boutades de Moréas, on en a imprimé quelques-unes après sa mort. Les lecteurs qui en pourront être curieux les trouveront dans le volume où M. Louis Thomas a recueilli les meilleures.