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LACLOS 21

teuil et de Cécile de Volanges. Y aurions-nous revu aussi les autres personnages des Liaisons ? On ne sait. Leur réunion n’a pas eu lieu et c’est à nous de leur inventer des destinées. Celle de Laclos était de n’écrire qu’un seul roman. D’ailleurs, la société qu’il avait si brillamment dépeinte n’existait déjà plus dix ans après l’apparition de son livre. La Révolution avait fait du romancier un homme politique et un général d’artillerie. Mme de Volan- g-es allait bientôt, sans doute, monter sur l’échafaud. Les portes du couvent qui renfermait sa fille allaient s’ouvrir au nom de la loi. Le Chevalier Danceny, revenu de Malte, pouvait, rencontrer sur les bords du Rhin M. de Prévan et M. de Gercourt émigrés. Laclos ne pensait sans doute plus guère, parmi les fumées du canon et la rumeur des armes, à ces personnages imaginaires. D’Allemagne il passait en Italie. Ce fut là que Stendhal rencontra, un soir, à Milan, au théâtre de la Scala, celui qu’un rapport de police, qui nous est parvenu, qualifiait « d’homme de génie, très froid et très fin ». Laclos mourut à Tarente en 1805. Sa tombe s’y voit encore. Il nous reste de lui un livre admirable et le portrait curieux dont je parlais tout à l’heure. Je ne le regarde jamais sans émotion ; il me semble que j’écoute grincer sur le papier la plume qui écrivit les Liaisons Dangereuses. C’est le bruit le plus vrai que Laclos ait laissé dans la mémoire des