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APAISEMENT 49

Chanson triste et rythmée et pleine de sanglots :
Voix des sources filtrant au centre des clairières,
Bruit de l’eau qui s’égoutte et frisson des rivières
Où roulent des cailloux au glissement des flots ;

Comme un pressentiment d’espérances brisées,
Avec ce chant plaintif et vague dans la nuit,
Et comme un frôlement de rêve qui s’enfuit
Entrent furtivement par les hautes croisées...

Le crépuscule lent monte jusqu’au plafond
Où des rayons perdus caressent les moulures ;
Le miroir familier à tes seules allures
Ne reflète plus rien dans son cadre profond ;

Et cette ombre qui vient, ô douce, nous sépare,
C’est comme si quelqu’un se mettait entre nous ;
Je suis là près de toi pourtant, à tes genoux,
Et je serre tes mains avec des peurs d’avare,

Car j’évoque les soirs de funestes départs
Où dans la chambre obscure et veuve de l’absente,
On rassemble, en pleurant, dans l’ombre grandissante
Le trésor douloureux des souvenirs épars.