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Page:Régnier - Tel qu’en songe, 1892.djvu/19

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L'ARRIVEE 7


Nulle fleur d’autrefois ne tremble dans ma main,
Et j’ai traversé l'eau du lac de ma mémoire
Sans la Nixe entrevue au cristal incertain.

Ma lèvre ne sait rien du fleuve où j'ai pu boire
Ni du fruit où mordit ma joie ou ma douleur,
Parmi le verger clair ou sous la treille noire.

Si je tourne la tête, hélas ! avec un pleur
Vers ce que de moi V ombre à se taire suborne
Le crépuscule seul s’égale à ma pâleur :

Avec leur bouche, tour à tour, ardente ou morne.
Les faces du passé, sourires ou souci,
Ont fui d’un pied divin ou d’un sabot de corne.

Rien ne regarde plus celui qui marche ici
Parmi le crépuscule et l'ombre et le vent rude
Et qui songe, à jamais et seul, que te voici :

Terre de son Silence et de sa Solitude.