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LA DOUBLE MAÎTRESSE

les tristesses de sa petite amie. Il en profita pour tâcher de lui apprendre quelque chose. Il y réussit. Bientôt elle lut et écrivit couramment. Les jeux d’autrefois avaient cessé. Nicolas aurait bien voulu trouver à distraire sa triste cousine, mais il était un peu court de moyens et sans les ressources nécessaires, ni en lui-même, ni par les autres. Aussi Julie retourna-t-elle au Fresnay comme elle en était venue.

Pourtant M. du Fresnay qui, quoique honnête homme, se connaissait en tendrons, ne fut point sans s’apercevoir d’un changement qui, peu à peu, s’opérait en Julie et qui eût passé inaperçu à un œil moins exercé. Il la trouvait intéressante sous sa laideur passagère. Une beauté secrète, une grâce dissimulée, un charme caché lui apparaissaient sournoisement en ce visage encore incertain et qui, aux yeux de tous, ne faisait encore semblant de rien. M. du Fresnay guettait la surprise de cette éclosion prochaine dont il prévoyait l’éclat et dont il pressentait le parfum et il souriait à part soi quand Mme  du Fresnay se lamentait de la disgrâce de Julie, content de savourer à l’insu de tous l’instant délicieux de cet avant-printemps où les fillettes vont devenir filles.

L’hiver encore se passa pour Julie dans une sorte de dégoût de toutes choses que rien ne pouvait vaincre et qu’avouaient la gaucherie découragée et la langueur pâlotte de toute sa personne. Elle laissait au fond des armoires les jolies robes que la bonne Mme  du Fresnay lui avait fait tailler et s’obstina à porter les hardes étriquées dues aux