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LA DOUBLE MAÎTRESSE

ciseaux inhabiles des antiques chambrières de Pont-aux-Belles. Il lui arrivait de s’enfermer dans sa chambre des journées entières, et c’est en vain que Mme  du Fresnay, du bas de l’escalier, s’égosillait à l’appeler pour goûter un bonbon ou dire son avis sur une friandise. Julie ne répondait pas et Mme  du Fresnay regagnait ses fourneaux en agitant avec désespoir ses beaux bras enfarinés.

M. du Fresnay suivait avec intérêt ces giboulées. Parfois il parvenait à emmener avec lui Julie au pavillon de musique. Elle s’asseyait tristement sur un tabouret, lui se tenait devant elle et prenait son violon.

Au lieu de distraire la mélancolie de la jeune fille par des mélodies vives et légères, il lui donnait, au contraire, l’aliment des airs les plus tendres et les plus langoureux. Il la berçait de longs murmures passionnés et cherchait à jouer avec délicatesse et sentiment. Toute cette musique amoureuse emplissait le petit pavillon sonore. Peu à peu le jour baissait et M. du Fresnay continuait par cœur dans l’ombre. Quand il s’interrompait, le silence obscur lui répondait par le craquement de quelque bois d’instrument, ou bien il entendait parfois Julie pousser un long soupir. Aux bougies, ensuite, il lui voyait le visage encore mouillé de larmes, les yeux délicieusement beaux d’avoir pleuré. Elle ressentait en ces jours troubles tout ce que son être pouvait, par nature, produire de mélancolie comme pour, d’avance, s’en délivrer à jamais. Ce furent ses seules larmes, et plus tard la vie n’en obtint plus