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LA DOUBLE MAÎTRESSE

elle en portait les autres années, mais qu’elle avait rajustée à sa façon. Dans cette bonne toile à fleurs, avec ses cheveux simplement noués, elle ressemblait beaucoup à la petite Julie d’autrefois et elle reprit son pas de fillette pour se glisser sans être vue derrière le banc où rêvait Nicolas. Elle entra dans le plant d’arbres. Le lierre les enguirlandait et tapissait le sol de ses vertes feuilles en cœur. L’ouverture du treillage était agrandie ; elle passa.

Elle se tenait debout derrière le dos de Nicolas, retenant son souffle. Tout à coup, en se baissant, elle lui renversa la tête et lui posa ses deux mains sur les yeux. Puis elle enjamba le banc et, s’asseyant sur les genoux de Nicolas abasourdi, elle lui mit les bras au cou et l’embrassa longuement sur les deux joues en lui disant à l’oreille : « Comme tu es bête, mon pauvre Nicolas !… »

Ce furent pendant quelques jours des bavardages infinis. De même qu’elle avait joué à la demoiselle avec le gros Portebize, elle joua à la petite fille avec le maigre Nicolas. Ils reprirent leur cousinage interrompu et leur camaraderie de jadis, avec cette différence qu’elle apportait à ces jeux et à ces étourderies toutes les ressources de la plus dangereuse coquetterie sous les apparences de la plus franche naïveté.

Quoi qu’il en fût, Nicolas se retrouva comme par le passé au service des caprices de Julie. Au bout de quelques semaines, elle eut fait de lui son véritable esclave. Il se laissait aller béatement où la jeune fille le voulait conduire et éprouvait