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LA DOUBLE MAÎTRESSE

pour elle une admiration silencieuse ; dès qu’elle parlait, il la regardait bouche ouverte et mains pendantes. Elle savait maintenant son pouvoir et en abusait, amusée de voir son grand cousin stupéfait et honteux de ce qu’elle obtenait de lui.

Comme elle était devenue gourmande, il volait pour elle les meilleurs fruits des espaliers. Les pêches commençaient à donner. Mme de Galandot les envoyait soigneusement vendre à la ville, ne réservant que le nécessaire à la table de Pont-aux-Belles. Nicolas guettait les paniers à l’office avant qu’ils partissent pour le marché. Le vieux jardinier Hilaire qui aimait beaucoup son jeune maître et qui, tout en râtissant les allées, avait bien remarqué quelque chose du manège de M. Nicolas et de Mlle Julie, mettait les plus beaux fruits sur le dessus et riait de ses vieilles dents ébréchées de ne plus les retrouver là.

Julie y mordait de sa belle bouche rouge et elle aimait à s’y rafraîchir. Elle était coureuse et turbulente et ne laissait pas un instant respirer Nicolas. Ils se poursuivaient à perdre haleine par les allées et Julie trouvait à ces courses et à ces poursuites le prétexte de se laisser tomber dans les bras de son cousin. Elle y tombait toute chaude, essoufflée et haletante ; ses petits seins palpitaient sous son corsage à fleurettes. Nicolas la recevait d’abord avec embarras, puis avec empressement. Il sentait monter d’elle une moite odeur de peau, de linge et de jeunesse.

Quelquefois, au contraire, elle se plaignait de fatigue et de langueur, feignait de ne pouvoir