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LA DOUBLE MAÎTRESSE

l’avait apporté dans ses cheveux, dans sa chair sournoise de petite fille, dans ses habits. Cette odeur avait mûri à l’ombre des arbres du jardin. Maintenant elle occupait l’espace, et Mme de Galandot se bouchait le nez, crachait par terre. Nicolas la regardait avec épouvante et ne reconnaissait plus sa mère dans cette furie au geste brusque, à la voix rauque et enrouée. Il ne la voyait presque plus, car l’obscurité augmentait, et Mme de Galandot continuait à se promener dans l’ombre, d’un pas lourd et trébuchant, silencieuse maintenant et comme abattue par l’excès de sa fureur, tandis que Nicolas tâtait sa joue meurtrie, se mouchait, pensait à Julie et se remettait à pleurer.

Il pleura toute la nuit. Mme de Galandot, en sortant, avait fermé la porte à clé. En vain Nicolas secoua la serrure ; il lui fallut bon gré, mal gré, rester là seul et sans lumière. Le château semblait mort. Aucun bruit. Enfin l’aube parut, blanchâtre et farineuse, et Nicolas entendit des pas dans le jardin. Le vieux jardinier Hilaire passa et repassa plusieurs fois sous les fenêtres sans lever la tête. Nicolas, n’osant l’appeler, lui faisait des signes désespérés.

Le jour grandissait rapidement au ciel tout rose d’aurore. Nicolas, en se penchant, pouvait voir par-dessus les toits des communs un coin de l’avant-cour du château. Les pavés gris, roses et bleus luisaient de rosée. Comme au jour de l’arrivée de Julie, deux gros pigeons s’y promenaient. Il reconnaissait leur col nuancé, leur rengorgement et leur démarche pattue. Il les suivait des