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LA DOUBLE MAÎTRESSE

succession, lui apprit que, grâce aux économies de sa mère, il était un des plus riches seigneurs du pays.

Quoi qu’il en fût, Nicolas continua à vivre à Pont-aux-Belles comme par le passé. Il ne chercha ni à en sortir, ni à retrouver Julie. Il resta ainsi plusieurs années. Son existence était la plus régulière du monde. Il ne voyait personne.

Les deux vieilles servantes de Mme  de Galandot trépassèrent l’une après l’autre. Le vieil Hilaire demeura seul. Il avait abandonné ses jardins pour la cuisine et cuisait les œufs que M. de Galandot allait chercher lui-même à la basse-cour. Il tirait du village le pain et le peu de viande qu’il ajoutait à ce repas. Le tout ne coûtait pas à Nicolas plus de douze ou quinze cents livres par an. Cela alla ainsi jusqu’à la mort du vieil Hilaire, c’est-à-dire sept ans, jusqu’en 1756.

Une fois le bonhomme enterré, Nicolas, qui avait suivi jusqu’au cimetière son dernier serviteur, revint vers Pont-aux-Belles. Il marchait doucement, la tête basse. Il rentra dans les jardins par la petite porte qui donne sur la route et ouvre non loin du miroir d’eau. On était en mars ; les arbres se reflétaient nettement ; l’un d’eux portait un nid de pies à une fourche de ses branches nues. Le petit bassin était rempli. Le Triton humide luisait. Il avait plu. De grandes flaques miroitaient dans les allées ; les pas marquaient profondément au sol détrempé comme si la terre, au passage, eût voulu conserver quelque chose du passant. Nicolas s’arrêta devant un banc adossé à un treillage rompu.