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LA DOUBLE MAÎTRESSE

bassin où nous buvons avec elle les mirages que notre vie y reflète.

Avec cela, pour rien au monde, l’abbé Hubertet n’eût manqué aucune des cérémonies qui sont les fêtes publiques de la cité. Il était au premier rang les soirs de feux d’artifice où l’on respire cette bonne odeur de poudre qui, même pacifique, flatte l’odorat populaire.

Il se mêlait volontiers à la foule, pour écouter avec soin les propos qui se tenaient autour de lui. Il en savourait la verdeur et le pittoresque et l’attrait d’y retrouver, plus crues et comme toutes neuves, les images qui commencent par courir la rue avant de chercher logis et d’acquérir état dans la langue qui plus tard les épure et les poinçonne. Il estimait ce fond fruste et trivial du langage ; aussi disait-il assez bien que l’effigie commune d’une monnaie n’empêche pas la bonté de son métal, qu’il faut prendre à la vie de toutes mains, que le gros sol du faubourg a sa vertu propre non moins que la plus fine médaille d’Agrigente et de Syracuse. De sorte que l’abbé, par principes, mêlait volontiers en ses propos le langage des écoles à celui des halles. Il eût pu dîner, selon l’occurrence, chez Lucullus ou chez Ramponneau, aux Porcherons ou à Tivoli. Quand il avait discuté doctement avec ses collègues de l’Académie quelque point de science ou d’histoire, il se plaisait, au retour, à voir charger un chariot ou démarrer un fardier et, tout en soufflant, il remontait la pente de sa rue en se remémorant une ode d’Horace ou le juron d’un ivrogne rencontré.