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LA DOUBLE MAÎTRESSE

les premiers temps, car vous n’étiez pas encore grande ménagère, si j’en juge par la façon dont vous laissiez boire le lait par le gros chien ?

— Oui, Monsieur, d’autant plus que j’étais peureuse, peureuse… Le premier soir, il me coucha dans la bibliothèque. La chandelle éteinte, je restai les yeux ouverts. Les vieux livres se mirent à craquer ; les souris leur répondirent. Je les entendais trotter menu, çà et là et tout près de moi. Il y en avait une qui grignotait avec ses petites dents fines. J’aurais crié. Enfin, n’y tenant plus, je me lève pieds nus, en chemise, et je me glisse dans la chambre de M. l’abbé où je voyais de la lumière par les fentes de la porte. Il dormait dans son grand lit. Son gros souffle faisait s’abaisser et remonter le drap qui lui venait jusqu’au menton. Je me rassurai à l’écouter ronfler. Le matin, à son réveil, il me trouva blottie dans un fauteuil. J’avais les pieds glacés et, le lendemain, un gros rhume.

— Et qu’a dit l’abbé ?

— Le lendemain soir, je trouvai mon petit lit dressé dans un coin de sa chambre. Pour lui faire place, il avait déménagé ses potiches et ses vieilleries. Ah ! le bon lit, Monsieur ! Je m’y étendais en me faisant bien longue et je m’endormais aussitôt et, si je me réveillais dans la nuit, je me rendormais sans peur. Il y avait au plafond une mèche qui brûlait dans l’huile d’une lampe à trois becs. Quelquefois encore, j’avais peur tout de même ; mais il suffisait de me lever sur mon lit pour voir M. l’abbé dans le sien et être sûre qu’il était bien là sous l’édredon. Les pointes du foulard