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LA DOUBLE MAÎTRESSE

qu’il se nouait autour du front dessinaient sur le mur deux cornes d’ombre. Ah ! Monsieur, je les vois encore !

— Vous les voyez encore, mademoiselle Fanchon ?

— Ah ! Monsieur, quand j’ai eu treize ans, M. l’abbé m’a mise dans mes meubles. Jugez plutôt. »

Elle avait ouvert une porte assez bien dissimulée par la boiserie, et M. de Portebize aperçut là une jolie chambre, avec des miroirs et un lit drapé.

— « Il m’a dit : « Fanchon, te voilà grande. Tu seras là chez toi. » Et il me montra la toilette, m’ouvrit l’armoire qui contenait des robes et du linge. Il avait profité, pour aménager tout cela, d’une petite maladie qui venait de me tenir au lit une semaine et d’où je sortis grandie et formée. À partir de ce jour, je quittai mes galoches de fillette pour des souliers à talons. J’eus ma clé. M. Hubertet me traita en personne sérieuse. Sa familiarité resta paternelle et devint plus délicate. Il frappe avant d’entrer. Pourtant, le matin, quand je dors encore, il arrive quelquefois sur la pointe des pieds. Il croit que je ne le vois point et je le lui laisse croire. Il s’approche en tapinois et me regarde dormir. Il y semble prendre plaisir, Monsieur, et j’en suis aise, car n’est-il point juste que ma couette de nuit et mon visage du matin distraient ses yeux ? Je leur dois bien cela. Les deux cornes d’ombre de son foulard n’ont-elles point assez souvent rassuré mes peurs pour que ma cornette réjouisse sa vue ? Aussi je m’arrange, quand je l’entends venir, pour montrer, sans en