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LA DOUBLE MAÎTRESSE

vous regardait du même œil qu’il eût examiné un Algonquin, un Caraïbe ou un Papou.

On racontait que, jeté par un naufrage dans une île déserte, il y resta trois ans, n’ayant sauvé de la tempête que sa canne et une trousse à main. En l’ouvrant, il vit qu’il possédait pour tout bien un petit carré de miroir, une savonnette et une paire de rasoirs. Quand, au bout de trois ans, la chaloupe d’un vaisseau anglais vint faire aiguade dans l’île, l’officier qui la commandait rencontra, se promenant sur le rivage, un homme tout nu qui marchait gravement, la canne à la main. On le recueillit, et quand il arriva ainsi à bord, le capitaine du vaisseau remarqua avec admiration que M. de Parmesnil avait la lèvre, le menton et la joue rasés de fort près et qu’il suffit de lui donner un habit pour refaire de lui un gentilhomme aussi correct que si, au lieu de venir de passer trente-six mois à la sauvage, il sortait de son cabinet ou de quelque compagnie à la mode.

M. Garonard, le peintre, était encore plus haut et plus sec que M. de Parmesnil, mais d’une tenue qui contrastait avec la sienne. D’un gilet déboutonné s’échappait un jabot de travers. De ses manchettes, toutes deux de la plus fine dentelle, l’une lui pendait déchirée au poignet. M. Garonard avait les mains impatientes, l’œil rapide, la figure longue et irascible, le nez osseux et les joues balafrées de tabac. Il ne cessait guère, soit en causant, soit en travaillant de plonger les doigts dans sa tabatière. Il possédait un assortiment de boîtes de toutes sortes qu’il sortait de ses poches, oubliait