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LA DOUBLE MAÎTRESSE

Dans la voiture, M. de Gurcy recommençait à se lamenter.

— « Ah ! les gueux, s’en donnent-ils ! et jour et nuit, j’en suis sûr. Ne crois pas ce que je t’ai dit, Bourgogne : ton maître est un heureux larron. Cette Damberville est charmante et je te défends de penser autrement, puisqu’elle a été ma maîtresse, et quelle maîtresse ! Quel feu ! quelle ardeur ! Et elle m’a trompé.

« Elle a bien fait, je l’ai mérité. Je me suis saoulé. Tant pis pour moi ! Elle me l’avait défendu. D’ailleurs, il faut savoir être trompé quand on aime ; je lui demanderai pardon, elle me reprendra. Tu ris, maraud ! il n’y a pas de honte en amour. L’histoire que nous a contée l’autre soir ce gros Anglais rouge est très bien. Il a raison, il faut savoir vider le pot. Arrête-moi là, Basque ; adieu, mon garçon ! »

Et M. de Gurcy sautait du carrosse et s’en allait, en gesticulant, porter partout sa colère et son dépit et contribuer lui-même à répandre avec fracas sa fâcheuse aventure.

Partout déjà elle l’avait précédé. Le caprice de Mlle  Damberville pour M. de Portebize prenait les proportions d’une affaire publique. Les gazettes parlaient de l’indisposition de la danseuse. L’Opéra bourdonnait, les Menus commençaient à s’émouvoir. Mlle  Damberville dédaignait les ordres les plus formels et méprisait les plus sages avis. Elle refusait obstinément de jouer. Le public la réclamait sur la scène. Le théâtre retentissait de sifflets et de bagarres. Le parterre