Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/314

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lon où il la laissa seule. C’était un lieu retiré dont le cardinal avait maintes fois éprouvé la sécurité. Lucia trouva les fenêtres fortement closes et les girandoles allumées. Elle comprit ce qu’on attendait d’elle et que Mme Piétragritra lui avait laissé entendre à mots couverts. En attendant, elle goûta la collation préparée sur un guéridon ; le cardinal la trouva la bouche pleine. Il était si pressé de voir cette merveille dont la Piétragrita lui avait dit le plus grand bien qu’à l’issue de son audience il accourait sans avoir pris le temps de quitter son habit de cérémonie et d’en revêtir un plus conforme à la circonstance. Aussi Lucia, en voyant sortir du grand costume rouge tombé à terre un abbé en culotte, puis un gentilhomme en chemise et enfin un homme tout nu, fut-elle saisie d’une telle hilarité qu’elle succomba à l’entreprise la gorge soulevée d’un rire et la bouche encore sucrée de sa confiture interrompue.

Lamparelli fut enchanté de la bonne humeur de l’aventure et tout fier de son exploit, car Mme Piétragrita l’avait assuré de l’intacte vertu de Lucia ; aussi crut-il en cette affaire avoir accompli une prouesse tout à son honneur. Au vrai, le bon cardinal n’avait guère fait tout au plus qu’achever ce qu’Angiolino avait fort bien commencé, sous les portiques, au coin des bornes, le long des murs, au crépuscule ou la nuit dans quelqu’une des cachettes familières où ils se terraient comme de jeunes bêtes souples et hardies ; mais Lamparelli ne se douta point de la supercherie et n’en fut pas moins content que s’il avait eu lieu de l’être plus justement.