Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
72
LA DOUBLE MAÎTRESSE

sur ses instances, elle se trouvait seule dans sa chambre dont la fenêtre ouverte donnait sur le jardin ; elle crut entendre du bruit sous sa croisée et, s’étant penchée, vit, au bas du mur, la petite gardienne de la chèvre tenue à la gorge, ses vêtements en lambeaux laissant apercevoir sa chétive et dégoûtante nudité, et rué sur elle, le tricorne à bas, la perruque de travers, le linge dehors, le cauchemar de M. de Mausseuil, brutal et monstrueux, qui était en train de forcer l’infirme.

Mme  de Mausseuil, stupéfaite, entendit une faible plainte et un halètement sourd auxquels elle répondit d’en haut par un cri perçant et elle vit distinctement se lever vers elle la tête effarée de son mari, jurant effroyablement et qui, debout d’un bond, s’enfuyait en trébuchant à travers un carré de choux. Du coup, Mme  de Mausseuil tomba à la renverse et resta assez longtemps évanouie, tandis que montait dans la nuit venue, ironique et ricaneur, le chevrotement nasillard de la chèvre attachée par une corde à un piquet autour duquel elle tournait, la corne basse et le pis gonflé.

Mme  de Mausseuil, qui se blessa gravement dans sa chute, languit quelques semaines et finit par mourir en laissant son mari inconsolable. Il maigrit à vue d’œil, sa panse tomba, et il s’enfonça dans une mélancolie taciturne qui alla en s’augmentant au point qu’on venait de trouver l’hypochondre râlant sur l’herbe, juste sous les volets clos de la chambre où sa femme était morte six ans auparavant. Il gisait étendu dans une mare de sang, le ventre tailladé et la gorge coupée.