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LE RÉPERTOIRE NATIONAL.


M’a-t-il dit, « des neuf Sœurs, de Minerve et de moi ?
Elles ont eu, pourtant, quelque pitié de toi ;
Ont cru qu’il convenait d entendre raillerie,
Et n’ont, dans tes propos, vu qu’une étourderie.
Minerve t’a laissé quelques grains de raison ;
Les Muses, souriant comme à leur nourrisson,
T’ont laissé parcourir les rives du Permesse,
Et combattre assez bien l’Envie et la Paresse.
Moi-même, j’ai prescrit, me montrant indulgent,
À ton grave délit ce léger châtiment :
Tu n’iras point porter, sans mon feu, sans ma grâce,
Tes téméraires pas au sommet du Parnasse ;
Tu resteras au bas : ainsi je l’ai voulu,
Ainsi l’a décrété mon pouvoir absolu.
Tu seras, en un mot, plus rimeur que poète :
Différent de celui que ton pays regrette,
Qui, fort du beau génie et de l’heureux talent
Que des mains de nature il reçut, en naissant,
Et que je réchauffai de ma divine flamme,
Brilla dans la chanson, l’épître et l’épigramme,
Y montra de l’esprit les grâces et le sel :
N’espère point, enfin, d’être un autre Quesnel.
Avant de rien produire, il faudra que tu jongles,
Et te grattes la tête, et te rognes les ongles ;
Et ta verve, asservie à mon divin pouvoir,
Ne s’exercera point au gré de ton vouloir. »
Apollon parlait mieux, mais je ne saurais rendre
Le langage divin que je crus lors entendre.
Ce dieu, pour me punir d’un coupable discours,
Me défend de chanter les combats, les amours
Ne pourrait-on pas même appeler téméraires
Mes efforts pour traiter des choses plus vulgaires,
Si des esprits plus forts, des rimeurs plus experts,
En ont fait, avant moi, le sujet de leurs vers ?
Qui dirait le berger, l’abeille après Virgile ?
Qui dirait les jardins, les champs après Delille ?
Et, quand on l’oserait, y gagnerait-on bien,
Serait-on bien compris, au pays canadien,
Où les arts, le savoir, sont encor dans l’enfance ;
Où règne, en souveraine, une crasse ignorance ?
Peut-on y dire, en vers, rien de beau, rien de grand ?
Non, l’ignorance oppose un obstacle puissant,