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LE RÉPERTOIRE NATIONAL.

« Alors, ma mère, dit Françoise reprenant toute sa résolution, il faut que nous nous séparions. J’ai été marquée de cette marque sainte, en faisant le signe de la croix, et je ne dois plus hésiter. »

« En est-il ainsi ? s’écria sa mère ; et refusant d’embrasser sa fille, elle frappa dans ses mains, et poussa un cri qui retentit dans toute la forêt. Il y fut répondu par un cri plus sauvage encore, et en un moment, Talasco et le jeune Allewemi furent près d’elle. « Tu es à moi, s’écria Talasco, vive ou morte, tu es à moi. » La résistance aurait été vaine. Françoise fut placée entre les deux sauvages, et entraînée… Comme ils sortaient du bois, ils furent rencontrés par un parti de français, armés et commandés par un jeune officier, avide d’aventures. Il aperçut au premier coup d’œil l’habillement européen de Françoise, comprit qu’elle devait être captive, et résolut de la délivrer. Il banda son fusil et visa Talasco : Françoise fut prompte à se mettre devant lui, et cria, en français, qu’il était son père. « Délivrez-moi, dit-elle, mais épargnez mon père, ne le retenez pas : les outaouais sont ses ennemis mortels ; ils lui feront souffrir mille tourments avant de le mettre à mort, et sa fille en serait la cause. »

Talasco ne dit rien ; il se prépara à l’issue, quelle qu’elle dut être, avec une force sauvage. Il dédaigna de demander la vie qu’il aurait été fier de sacrifier sans murmure, et lorsque les français défilèrent à droite et à gauche, pour le laisser passer, il marcha seul en avant, sans qu’un seul de ses regards, un seul mot de sa bouche témoignât qu’il croyait recevoir d’eux une faveur. Sa femme le suivit. « Ma mère, lui dit Françoise de la voix de la tendresse, encore un mot avant de nous séparer. »

« Encore un mot ! répondit Genanhatenna. Oui, ajouta-t-elle après un moment de silence, encore un mot — Vengeance. Le jour de la vengeance de ton père viendra ; j’en ai entendu la promesse dans le souffle des vents et le murmure des eaux : il viendra. »