Page:Répertoire national ou Recueil de littérature canadienne, compilé par J Huston, vol 1, 1848.djvu/294

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non, non, impossible ; c’est la sombre jalousie qui me dicte tous ces outrages. Non ! non ! Émilie est la femme de mon cœur, l’être aimable, l’être pour qui je dois vivre et mourir…

Toutes ces réflexions diverses se pressaient en foule dans mon esprit ; mon cœur torturé de mille manières m’ôtait l’usage de la raison ; je sortis en maudissant tantôt l’amour, tantôt la jalousie, et j’arrivai dans ces dispositions à l’hôtel d’un village voisin où nous avions retenu quelques places. Je rencontrai là un de mes amis qui, surpris de mon air égaré, me supplia de lui en découvrir la cause. Je lui détaillai ce qui s’était passé en le priant d’être mon second dans l’affaire qui ne devait pas manquer d’avoir lieu le lendemain. Il était tard. Peu de temps après, Bréville arriva accompagné d’un de ses amis, officier dans le même régiment.

— Monsieur, dit Bréville, parlons franchement ensemble. Notre différend peut s’arranger peut-être en quelques mots : avez-vous quelques prétentions à la personne qui vous donna l’anneau que j’ai vu à votre doigt ? S’il en était ainsi, la mort de l’un ou de l’autre pourrait seule finir cette difficulté ; car j’ai trop bonne opinion de votre courage pour croire un instant qu’il en puisse être autrement ; ainsi je ne vous demande pas à renoncer à elle. Je vous ferai seulement observer que cette personne est ma maîtresse depuis près d’un an, que je l’aime au-dessus de tout, que je me suis battu, que je fus blessé plusieurs fois pour cet amour ; ce qui doit vous prouver combien il a de prix à mes yeux. Cependant, j’ajouterai que cette personne pour qui j’ai sacrifié ma fortune, mes amis, et pour qui j’ai exposé ma vie, ne m’est pas fidèle ; je vois qu’elle en aime un autre ; néanmoins, je ne puis supporter l’idée d’être supplanté par cet autre…

— Arrêtez ! m’écriai-je ; il n’est pas nécessaire d’ajouter la fausseté à l’insolence ; d’ailleurs vous en avez dit assez pour soulever mon indignation ; je vais me retirer, laissant à mon ami le soin d’arranger tout cela avec vous.

L’affaire avait été trop loin pour pouvoir s’arrêter là. Je quittai la salle. Nos amis, peu d’instants après, vinrent