Page:Répertoire national ou Recueil de littérature canadienne, compilé par J Huston, vol 1, 1848.djvu/298

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connue d’Émilie, elle avait résolu de quitter une si dangereuse connaissance.

La blessure de Bréville fut bientôt reconnue non dangereuse, et sa santé s’améliora chaque jour. Mais il n’en fut pas de même pour moi : le choc terrible que cette aventure m’avait donné ébranla pendant quelque temps ma raison ; j’étais devenu insensible à toute distraction, le monde me fatiguait ; et je ne pouvais trouver de charme qu’à m’entretenir de ma douleur même.

La seule personne qui n’ignorait pas la cause du duel que j’eus avec Bréville, fut Émilie elle-même dont la conscience, rendue alors à toute l’horreur de sa situation, interpréta facilement tout ce qui s’était passé. De ce moment, elle perdit dans l’opinion publique cet enchantement qui paraissait l’accompagner auparavant. Elle vivait dans la crainte que sa conduite ne fût connue ; son anxiété fut telle que sa santé se détériora et qu’on désespéra, pendant quelque temps, de la conserver à la vie. Cependant, mon amour pour elle est resté, même après qu’elle eut cessé de le mériter. Oui, malgré l’énormité de son crime, je l’aime plus qu’il ne m’est possible de le dire. Elle est trop belle pour être oubliée ; et même aujourd’hui je ne puis concilier l’idée qu’une telle perfidie puisse être alliée à tant de divines qualités : sa figure est celle d’un ange ; l’innocence et la bonté se dessinent sur ses traits ; les paroles qui tombent de ses lèvres font retentir tout mon être. Maintenant encore, quand une voix ressemblante à la sienne vient frapper mon oreille, mon cœur tressaille, tout mon corps tremble, je crois avoir retrouvé une chimère que je poursuis, mais bientôt la réalité terrible se montre hideuse… je me trouve isolé !

Les blessures de la douleur cèdent généralement aux efforts du temps ; cependant il est des cœurs que des souvenirs poignants consument à la longue, les ravages faits sur eux en silence ne sont pas visibles au dehors, comparativement à l’altération de l’âme. Telle était la disposition où je me trouvais quand je reçus d’Émilie la lettre suivante