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LE RÉPERTOIRE NATIONAL.

bon garçon et de savant ; réputation qu’il devait plus à ses cartes géographiques et à ses bouquins qu’à son érudition ; ou pour mieux dire, il était plus érudit que savant. Du reste, il parlait gaiement à tout le monde ; donnait plus de conseils que d’argent ; coutume que suivent bien des gens qui ne valent pas monsieur Desnotes, et cependant il n’était pas avare, il n’était qu’économe. Monsieur Desnotes avait des habitudes régulières ; il n’aimait pas à parler politique parce qu’il prétendait un peu à la philosophie. Il disait que la politique est un vaste champ où des aveugles combattent, où les uns frappent à gauche, les autres à droite, et le plus grand nombre à vide ; où chacun crie sur des choses qu’il ne voit pas, où chacun prétend voir beaucoup, où l’un veut aller au nord, l’autre au sud ; et où, faute de s’entendre, l’on meurt en criant, combattant, sans avoir recouvré la vue, ni changé de place. Monsieur Desnotes, comme vous le voyez, croyait en savoir plus que les autres ; pardonnez-lui cela, car il est mort depuis longtemps, et probablement que s’il eût vécu de nos jours, il eût changé de manière, vu que nous sommes, comme chacun sait, bien plus avancés, bien plus savants dans toutes ces belles choses, aujourd’hui qu’autrefois. L’on doit dire cependant que, quelque simple qu’ait été monsieur Desnotes, il avait su acquérir l’estime de tout le monde, ce qui vaut bien, à mon avis, la science politique, n’en déplaise aux célébrités.

Malgré tout cela, monsieur Desnotes n’était pas heureux. Pourquoi ? ah ! ma foi, parce qu’il ne se trouvait pas heureux. Aussi longtemps qu’il avait travaillé, il n’avait songé qu’à ses occupations, qui l’avaient toujours assez distrait pour le détourner des affections ordinaires du monde : il ne s’était pas marié.

Bien des personnes penseront qu’il aurait dû être heureux justement pour cette raison ; monsieur Desnotes pensait autrement ; que voulez-vous que j’y fasse ? Chacun son goût. Monsieur Desnotes se trouvait seul, s’ennuyait et croyait qu’une épouse serait une distraction ; il pouvait