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LE RÉPERTOIRE NATIONAL.

En tout point dépourvus de talents littéraires,
Qui, parce qu’un boulet leur a cassé le bras,
S’imaginent que d’eux l’on doit faire un grand cas ;
Les autres, magistrats, juges, greffiers, notaires,
Conseillers, médecins,… ou même apothicaires…
Car sur la liste enfin des gens à pension,
L’on trouve tout état, toute profession,
Le rimeur excepté. Quelle injuste manie !
Faut-il que sans pitié la fortune ennemie
Nous ait, pour nos péchés, cloués dans un climat
Où les gens sont sans goût,… ou l’ont trop délicat.
Ils loueront un soldat qui le péril surmonte ;
On s’épuise à rimer, personne n’en tient compte !
O temps ! ô mœurs ! ô honte ! Oh ! que diront de nous
L’Iroquois, l’Algonquin et le Topinanbous ?
Chez eux l’homme d’esprit peut hardiment paraître ;
Quiconque a des talents se fait du moins connaître.
Eh ! ne rendent-ils pas des hommages divins
À leurs jongleurs, sorciers, astrologues, devins ?
Parcours tout l’univers, de l’Inde en Laponie,
Tu verras que partout on fête le génie,
Hormis en ce pays ; car l’ingrat Canadien
Aux talents de l’esprit n’accorde jamais rien.
Et puisque par hasard je suis sur ce chapitre,
Je te veux, cher ami, prouver en cette épître,
Que chez eux l’on a beau vouloir se surpasser,
Jamais l’homme à talents ne saurait s’avancer.
Moi-même j’en ai fait la dure expérience.
Voici le fait : Privé de retourner en France,
J’arrive en ce pays, pleins d’affabilité,
Ils exercent pour moi leur hospitalité,
De ce je ne me plains. Mais, las ! point de musique.
À table, ils vous chantaient vieille chanson bachique :
À l’église c’étaient deux ou trois vieux motets
D’orgues accompagnés qui manquaient de soufflets.
Cela faisait pitié. Moi, d’honneur je me pique :
Me voilà composant un morceau de musique,
Que l’on exécuta dans un jour solennel :
C’était, s’il m’en souvient, la fête de Noël.
J’avais mêlé de tout dans ce morceau lyrique,
Du vif, du lent, du gai, du doux, du pathétique :
En bémol, en bécarre, en dièse, et cetera,
Jamais je ne brillai si fort que ce jour-là.