Page:Rétif de la Bretone - Le Paysan et la paysane pervertis, vol. 1, 1784.djvu/209

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la donner, aulieu de cet autre papier que lui dicta le Père, notre ami commun, ét qu’elle me-remit le jour que tout ſ’eſt-decouvert.

Mon chèr Mari : Juſqu’à l’âge de ſeize- ans, je n’avais-guère-ſongé qu’il y-eût des Etres d’un ſexe different du mién. Mais parvenue à ce periode de ma vie, où les paſſions ſe-developent, je tombai dans une forte d’inquietude ét dans un degoût des amusemens ordinaires, qui me-les fit trouver abſolument inſupportables. Je ne ſavais à quoi attribuer cet état de langueur-de-l’âme. Toute l’objervation que je fis, c’eſt que lorſque je me-trouvais dans des cercles où il y avait beaucoup de Jeunesgens, mon tourment était comme-ſuſpendu. Cependant auqu’un-d’eux ne me-fixait en-particulier ; ils m’intereſſaient tous également ; deſorte-que c’était moins tel Homme dont la presence me-fesait-plaisir, qu’un inſtinct qui me-portait vers les Hommes en-general. J’étais dans cette ſituation, quand je vous vis à V★★★, ét ce fut moi qui vous donnai un petit coup ſur la joue, pouſſée par je ne ſai quelle envie de vous engajer à jeter les ïeus ſur moi. Vous étiez mieus que tout ce que j’avais-connu juſqu’alors. Les Jeunes-gens de la Ville-d’Auxerre ſont peutétre les moins-aimables qu’il y-ait au monde : groſſiers, vains, impertinens, indiſcrets, ſenſuels, aimant la table ét le vin ; il faut, pour ſ’en accommoder, avoir de terribles besoins fisiqs, ou ne rién connaître qui vaille mieus,