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AU CREUX DES SILLONS

LE PROCÈS


Pendant toutes ces soirées de fêtes, les rapports avaient circulé, plus fantaisistes les uns que les autres. Ils commençaient tous invariablement par : Corriveau a dit, Lamarre a dit. Que de propos leur furent imputés, qu’ils n’avaient jamais tenus. Le tort de ces deux hommes était d’écouter trop volontiers les racontars contradictoires, mensongers, confus, invraisemblables.

Bientôt Corriveau n’y tint plus. Il fit servir à son ennemi une lettre de son avocat pour diffamation de caractère. Lamarre laissa la loi suivre son cours. Le procès devait avoir lieu à la fin de mars. De part et d’autre on recruta des témoins. Ce ne fut pas tâche facile. Il y en avait tant, leurs témoignages étaient si enchevêtrés, si opposés, si touffus. Les avocats étaient ravis que les choses fussent si embrouillées.

Cependant la paroisse était en feu. On prenait part pour l’un et pour l’autre. Partout, dans les familles, sur la route, à la porte de l’église, on ne parlait que du procès Corriveau-Lamarre. Les enfants eux-mêmes avaient une opinion. Il n’était pas rare qu’ils en vinssent aux mains pendant les récréations à l’école.

Paul et Jeanne étaient restés calmes au milieu de cette marée montante d’insultes et de haine. Leur beau rêve se mourait parmi tant d’infamies. On les éclaboussait, on voulait les impliquer dans les rancunes paternelles. Ils ne pouvaient plus se parler, sans cesse espionnés par leur famille et leurs voisins, mais ils lisaient dans leurs regards quand ils se rencontraient, la foi intacte qu’ils s’étaient jurée.