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AU CREUX DES SILLONS


LA VENTE


Paul voyait le beau domaine dont il devait hériter sur le point d’être sacrifié pour payer les créanciers. Le foyer dans lequel il avait compté amener Jeanne allait passer à des mains étrangères.

La vente aux enchères fut décidée. Ce furent pour lui de poignantes heures que celles qu’il vécut pendant ces jours. Une douleur plus atroce que les autres lui serra le cœur. S’il ne pouvait plus offrir à Jeanne cette modeste aisance de jadis, le devoir lui incombait donc de lui rendre sa parole. Un soir de juin qu’elle était seule à traire les vaches, il s’approcha de l’enclos, et lui dit :

« Jeanne, j’ai à vous parler. Voulez-vous venir me rencontrer dans la sapinière ce soir à huit heures ? »

Elle avait fait signe que oui, et ses yeux avaient souri tristement. Ce pâle sourire remplaçait la vive et bruyante gaieté d’autrefois.

Un grand émoi s’était emparé d’elle. Que voulait lui dire Paul ? venait-il annoncer une bonne nouvelle ? Son père avait peut-être consenti à les laisser s’épouser. Elle ne soupçonna pas un seul instant le vrai motif du rendez-vous. Son grand amour, fortifié par le malheur, n’avait pas songé que la pauvreté où Paul se trouvait réduit pût aussi devenir un formidable obstacle.

À l’heure indiquée, elle s’avançait donc, confiante, dans le sentier qui conduisait à la futaie de sapins. Elle regardait droit devant elle, portant le plus profond message d’amour qu’une