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AU CREUX DES SILLONS

LE PARDON



Les Lamarre avaient aussi subi des suites fâcheuses de ces procès, mais, à force d’économie, on avait fini par équilibrer le petit budget.

Jeanne avait déjà bien souffert quand on lui avait défendu de recevoir Paul, mais maintenant ses souffrances étaient augmentées de la solitude, de l’éloignement et de l’inconnu. Autrefois elle pouvait le voir vaquer à ses occupations, mais aujourd’hui cette chère vision était disparue. Où était Paul ? Que faisait-il ? Il avait promis d’écrire et était parti depuis bientôt deux mois et aucunes nouvelles n’étaient arrivées. Elle continuait à attendre dans le silence de son cœur et le silence de ses longs jours monotones. À certaines heures, elle se sentait accablée par l’attente journalière, écrasée sous le poids de ses nombreux travaux. Et jamais une lueur d’espérance, et jamais un rayon de bonheur. Elle travaillait du matin au soir pour élever cette grande famille, aidait son père aux champs, chaque jour plus triste, plus désespérée et plus angoissée.

Enfin au commencement de septembre, elle reçut une lettre de Paul, elle en défaillit presque de joie.

Il s’informait de ce qu’elle faisait, de sa famille. Il lui disait que son père, bien vieux et brisé par l’amertume de ses derniers malheurs, lui avait donné son consentement de l’épouser quand il voudrait ; qu’il travaillait beaucoup pour se créer un petit foyer et qu’il espérait aller la chercher au printemps et il terminait : « si votre père le veut, je pourrai vous appeler ma chère femme ». Jeanne porta à ses lèvres ces feuillets écrits d’une écriture mal assurée. « Ma chère femme », comme elle serait fière