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AU CREUX DES SILLONS

et heureuse de porter ce nom. Un hiver sera bien long à attendre, mais un espoir radieux s’est élevé qui la soutiendra. Un immense bonheur l’enserra.

Son père lui avait dit que, malgré certains regrets que lui causerait son départ, il ne s’opposerait pas à son mariage. Il estimait Paul et la voulait heureuse. Mais à ce moment une idée venait de lui traverser l’esprit. Il se mit à y réfléchir pour ne pas avoir à craindre de s’être exprimé trop rapidement. Elle grandissait en lui et il crut à sa possibilité.

Jeanne, dit-il, tu vas prendre une feuille de papier pour répondre à Paul. Tu lui diras que les nouveaux propriétaires de la ferme de son père doivent partir au printemps et que sa terre sera donc à vendre. Je l’achèterai. Je te donnerai la part d’héritage qui te revient de ta mère et avec ses économies vous pourrez commencer à la payer. Vous êtes jeunes et robustes et il vous sera facile de finir de l’acquitter.

La jeune fille, émue par la reconnaissance, folle de joie se hâtait déjà d’écrire, pour annoncer cette heureuse nouvelle à Paul. À la fin d’octobre, on reçut la réponse qu’il acceptait avec plaisir. Jeanne exultait, son beau rêve planait les ailes déployées dans le plus pur azur. Tous les jours elle se promenait dans le palais enchanté de son bonheur, où elle entendait l’hymne divin de l’amour. Sa vie s’épanouissait de nouveau. C’était une nouvelle Jeanne. Son rire perlé était revenu et son regard, quand elle le fixait par delà les collines, s’illuminait des mêmes feux. Soutenue par une aussi forte espérance, elle reprit goût à la tâche quotidienne. Elle fut plus affectueuse pour son père, plus tendre pour ses petits frères et petites sœurs.

Les jours fuyaient. La fête du Jour de l’An approchait. Jeanne avait écrit à Paul une belle lettre de bons souhaits. Elle attendait, il viendrait de bonne heure avec le printemps.

Encore trois mois. Elle comptait les jours fébrilement. Déjà elle préparait son trousseau. Elle filait le lin pour tisser les nappes, les serviettes de son ménage. Quel mot délicieux, son ménage. Elle fit de beaux draps de laine floconneuse qu’elle mettait dans une armoire pour le retour de Paul.