Page:Raîche - Au creux des sillons, 1926.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
34
AU GRÉ DES FLOTS

Les pêcheurs les plus audacieux et les plus entreprenants, qui étaient allés dans les régions lointaines des îles de la Madeleine ou des îles de Saint-Pierre et Miquelon n’étaient pas revenus. Mais on sentait que leur pensée était avec ceux qui se réjouissaient.

Pierre Legrand et son père étaient de ceux qui étaient arrivés pour la fête. Ils étaient entrés de bonne heure la veille, et s’étaient mis à la tâche pour en rehausser l’éclat.

Dès l’aube de ce jour, si longtemps attendu, les hommes étaient sur le pas de leur porte sondant l’horizon pour y lire les pronostics du temps. Sans cesse exposés aux caprices des éléments, ils finissaient par comprendre tous les signes que le ciel leur donnait. Or en ce matin du mois d’août, leur verdict fut unanime pour annoncer une journée splendide. « Soleil trop clair met la pluie dans l’air » disent-ils.

Ce jour-là le soleil s’était dégagé de la légère buée qui le voilait et jetait maintenant sur toutes choses une traînée de lumière. Il allait présider en vainqueur à cette fête publique. Et tous les pêcheurs sûrs désormais du temps qu’il ferait mettaient la dernière main aux décors du village.

La journée devait commencer par la messe solennelle. Ces hommes qui lisent dans le ciel vont à l’église, qui, dans cette occasion, se pare d’oriflammes, de bannières et de fleurs. Ils y chantent à la Vierge leur protectrice, l’Ave Maris Stella qui est à la fois l’hymne nationale et une prière ardente.

Au sortir de l’église il y eut des discours où reviennent toujours les mêmes thèmes, l’attachement aux traditions, l’amour du sol et de la langue, que tous écoutaient branlant la tête d’un air convaincu. Mais chaque année, malgré toutes ces paroles éloquentes, dès que le port se dégageait de ses glaces, ces hommes, éternels amoureux de la mer, s’en allaient à celle qui les appelle et qu’ils aiment pardessus tout.

Or cette année les choses s’étaient passées comme de coutume, après les discours, les jeux et la danse commencèrent et ce fut la joie de tous. On se parlait, on s’interpellait, on riait haut,