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Page:Raîche - Au creux des sillons, 1926.djvu/40

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AU GRÉ DES FLOTS

rents et d’amis, on ne manqua pas de taquiner Pierre Legrand. On lui disait :

« Vas-tu te marier avant le départ pour la pêche ? Dépêche-toi, l’hiver s’en va ».

D’autres ajoutaient :

« Son cœur est indécis entre la petite maîtresse d’école et la belle Hortense ».

Les femmes reprenaient d’un air entendu comme pour donner un conseil.

« Celle-ci fera une bonne femme, pour sûr ».

Pierre riait de tous ces propos, sans jamais se compromettre.

On était déjà au Mardi Gras. Le jeune homme était allé chez les Larade. Profitant d’un moment que Hortense était sortie, il s’approcha de Mai et lui dit brusquement :

« Si vous voulez, nous nous marierons à Pâques ».

La jeune fille fut atterrée par la responsabilité de la réponse qu’elle avait à faire. Elle hésita et dit enfin :

« Je suis si surprise que je ne sais comment répondre. Parlez à mon père ».

Elle était contente de laisser à son père le soin de régler cette question qui dépassait sa volonté.

Quand Hortense entra elle s’aperçut que quelque chose de mystérieux et de tragique s’était passée. L’air sérieux de Pierre, lui, toujours si gai, la mine troublée de Mai, lui causèrent un serrement au cœur. « Lui a-t-il parlé d’amour », se demanda-t-elle angoissée. Elle sentait avec son instinct de femme qu’il y avait quelque chose dans l’atmosphère, un grand malheur qui brisait sa destinée.

Quand Pierre fut parti, Mai ignorante du secret de sa sœur dit à son père :

« Savez-vous que Pierre m’a demandé en mariage ? »

Ces paroles furent un si terrible coup pour Hortense qu’elle s’appuya contre le rebord du poêle pour ne pas tomber. Son rêve volait en mille pièces, ensevelissant tout son bonheur sous ses débris. Elle se crispa les mains pour maîtriser cette vague