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AU GRÉ DES FLOTS

de douleur qui la submergeait. Pourtant, il ne fallait pas qu’elle laissât paraître son émotion. Elle eut la force de dire d’une voix basse :

« Qu’as-tu répondu, Mai ? »

— « J’ai été si surprise que je n’ai rien répondu. Je lui ai dit d’en parler à notre père ».

— L’aimes-tu ?

— « Je ne me le suis jamais demandé ».

Le père dit à son tour :

« Pierre est un bon parti. Je serai bien aise que tu le maries. Il est honnête et très travaillant. Tu finiras par l’aimer ».

— « Je ferai ce que vous voudrez, mon père, dit-elle, lasse déjà de tant d’efforts, contente de reprendre sa rêverie un moment interrompue ».

Il fut compris que le père donnerait lui-même une réponse affirmative au jeune homme. Dès lors il ne fut plus question dans la maison que du mariage de Mai pour Pâques. Hortense subit tous ces préparatifs, comme le martyr qui voit dresser son bûcher. Il lui semblait que sa vie s’était arrêtée soudain. Le sort s’était prononcé. Il ne lui restait plus qu’à souffrir et à pleurer en secret. Lorsque la douleur était trop poignante elle sortait, se livrait aux plus durs travaux pour amortir sa souffrance. Pendant ce temps Mai, indifférente, sans joie et sans enthousiasme, se laissait conduire au mariage, comme on va à une visite qui n’est ni agréable ni désagréable. Elle continuait l’échafaudage fantastique de ses rêveries, sans songer à l’amour qu’elle n’avait jamais ressenti. Quand Pierre venait elle lui parlait amicalement, distraitement, sans élan. Hortense trouvait mille prétextes pour sortir ou s’occuper, tant elle craignait que son cœur n’éclatât et ne criât son amour incompris. Le jeune homme lui savait gré de cette discrétion, qui lui ménageait des têtes-à-têtes avec sa fiancée. Elle subit jusqu’au bout les affres de ce long martyre. Le mariage eut lieu. Les choses se passèrent comme elles se passent chez les pêcheurs, parmi de grandes réjouissances. La musique, la danse, les repas copieux, les che-