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AU GRÉ DES FLOTS

que lui causait l’occasion de servir Pierre. Elle se prenait maintenant à compter les semaines avant son retour. Une radieuse espérance l’élevait dans des régions inconnues à elle-même. Il serait libre quand il reviendra. Peut-être comprendra-t-il l’étendue de son amour et en aura-t-il pitié. Et elle s’accusait de s’entretenir de ces pensées, sitôt après la mort de sa sœur. Décidément ce n’était pas bien, mais son amour lui était plus présent que les battements de son cœur. Comment pourrait-elle l’oublier ? Cet espoir répandait une si douce clarté, qu’il illuminait ses jours. Elle reprit goût à la tâche quotidienne. Ce n’était plus le même travail forcené et abrutissant, c’était une besogne d’amour, de bonté. Absorbée par les mille occupations de la journée, les soins à donner à l’enfant, le ménage, le dehors, elle ne se sentait jamais lasse. Une force juvénile la soutenait, une lumière merveilleuse et divine éclairait les profondeurs de l’avenir. Elle était belle dans l’accomplissement de ces mille devoirs. Ces gestes gracieux, forts et harmonieux chantaient la beauté et le goût de la vie.

Pierre Legrand arriva un des premiers. Avait-il eu hâte de revoir son fils ? Avait-il obéi à un sentiment de nostalgie ? Personne n’eût pu le dire. Il fut ravi de trouver l’enfant si bien portant. C’était un beau bébé qui pouvait déjà s’asseoir et sourire. Il en sut gré à Hortense, mais son amour de père s’attrista à la pensée de l’absente. Mai, la petite épouse, qu’il avait eu si peu de temps à aimer, remplissait encore sa vie de son invisible présence. Tout rappela son souvenir et renouvelait la douleur que rien ne voulait distraire. La jeunesse, l’intelligence, la beauté, l’amour d’Hortense passaient devant lui, près de lui, autour de lui, l’encerclaient, l’enlaçaient, il ne les vit pas et il ne les comprit pas.

Le printemps arriva et il partit seul et triste.

Hortense ne désespérait pas tout à fait. Elle attendait tout du temps, qui dompte les plus grandes douleurs.

Pierre revint, passa et vécut près d’Hortense, et il ne comprit rien. Il partit encore plusieurs fois, il revint plusieurs fois,