Page:Raîche - Au creux des sillons, 1926.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
43
AU GRÉ DES FLOTS

retour des pêcheurs. Toujours indifférente, elle suivait le fil tenu des méandres de ses rêves. Elle négligeait son ménage pour lire. Hortense venait mettre de l’ordre dans sa maison, en songeant qu’à sa place combien elle aurait travaillé pour embellir ce petit nid d’amour.

Son affection qu’elle croyait abolie revivait aux conversations des voisines qui parlaient sans cesse de la prochaine arrivée des pêcheurs, de leurs maris, de leurs frères et de leurs amis. Elle aurait voulu s’arracher le cœur plutôt que de donner prise à cet amour insensé. Cette lutte contre elle-même aiguisait tous ses sentiments tumultueux qui la harcelaient.

Enfin Pierre arriva et l’hiver commença. Ce fut la même routine des actions coutumières et familiales.

Hortense n’allait plus chez Pierre que pour aider sa sœur lorsqu’elle était trop arriérée au soin de son ménage et trop empêtrée. Elle astiquait son poêle pour elle, frottait son plancher, quelques fois cuisait ses repas. Elle ne pouvait se défendre d’aimer ces travaux, qui étaient pour l’homme qui remplissait sa vie.

Au cours de cet hiver, Mai donna naissance à un fils et mourut quelques jours après. Ce fut un grand deuil pour Pierre. En mourant la jeune femme avait confié à sa sœur le soin de son fils. Hortense était d’ailleurs la plus proche parente qui pût s’occuper de ce petit être. Elle l’adopta et l’aima de toute l’ardeur de son amour. Il ressemblait étrangement à son père. Elle pourrait le voir à chaque instant du jour et être pour lui la mère qu’elle aurait voulu être.

Pierre morne et inconsolé partit pour la pêche, dès qu’il le put.

Hortense, cette année, se sentit plus heureuse. Son existence avait un but, celui d’élever ce petit enfant confié à sa garde. Elle mit dans cette tâche toute la tendresse, l’affection, la douce patience d’une mère. Cet enfant la rattachait à l’homme pour qui elle eût voulu donner sa vie. C’était un lien et Pierre lui serait redevable des soins donnés à son fils. Cette pensée lui plaisait, non pas à cause d’un sentiment égoïste, mais par le bonheur