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LES DÉPAYSÉS

lui en coûtait de partir. Une secrète attirance, un mystérieux atavisme l’attachaient à ces lieux. Il y retrouvait le cadre désiré pour sa vie, et se promettait d’y revenir. Il songeait à toutes ces choses quand la voiture filait sur la route. Voilà qu’à une courbe plus accentuée, le chauffeur fait une fausse manœuvre, perd la maîtrise de son volant et lance la machine sur le talus. Elle capote et projette ses occupants sur le sol. Les gens qui s’empressèrent à leur secours trouvèrent Monsieur Jean inconscient, un trou dans la tête qui s’était heurtée à une pierre. On le ramena à l’hôpital. Il fut plusieurs heures dans cet état. Quand il reprit ses sens, il se fit en lui une grande lumière d’un éclat prodigieux qui illuminait tous les replis de sa vie d’autrefois. Tout son passé lui était rendu. Ses souvenirs se précipitèrent comme un ouragan dans un passage trop étroit. La pensée de son pays, sa famille, sa mère, le combat où il était tombé l’envahit et le pressa de toutes sortes. Ce choc avait affecté le cerveau de telle façon qu’il lui avait rendu le don de se rappeler.

Il demanda sa mère, se nomma, on crut à du délire. Il expliqua son cas, persista, insista, réclama pour qu’on allât chercher sa mère dont il donnait l’adresse exacte. On s’inquiétait de la gravité de sa blessure, de son extrême faiblesse, mais intéressé par l’étrangeté de ce cas, on obtempéra à ses désirs.

On fit venir Madame Bertrand. En entrant dans la chambre son intuition de mère ne la trompa pas. C’était son fils, elle le reconnaissait. Lui aussi reconnut sa mère.

— Mère, dit-il.

Il ne peut en dire davantage, une hémorragie