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LA MOUSSE DE L’OUBLI



Depuis deux heures le combat faisait rage dans la plaine aux environs de Péronne en France. Des mitrailleuses cachées derrière un massif envoyaient une telle grêle de balles que l’air en était criblé. Et la mort chevauchait invisible parmi ces hommes qui tombaient terrifiés, éperdus dans cette mêlée.

Pendant une bataille de grande envergure où tant d’éléments sont en jeu, où chacun a une vue bornée de l’action générale, et ne se rend compte que de ce qui l’entoure immédiatement, il suffit d’un tumulte, d’un arrêt insolite, d’une bousculade pour jeter la panique dans les rangs. La terreur, les courses affolées des uns, l’angoisse, l’effarement des autres se communiquent aux plus braves. Et la mêlée devient un horrible fouillis d’hommes crispés par l’effroi de la mort qui plane autour d’eux dans les balles qui sifflent, les détonations, le feu, les éclats d’obus et tout ce que l’enfer de la guerre vomit dans sa rage.

Au milieu de cette débandade où chacun fuyait courbé sous la pluie sinistre des mitrailleuses, le capitaine Maurice Bertrand domina ses hommes. Sa volonté plus mâle que la déroute rappela leur courage. Sa voix de tonnerre les électrisa :

— Où allez-vous, les amis ?

Aiguillonnés par ces fortes paroles, ils se cabrè-