Page:Raîche - Les dépaysés, c1929.djvu/4

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
4
LES DÉPAYSÉS

rent, s’acharnèrent dans cette rafale noire et sanglante. Ils tombaient, percés, déchiquetés, la tunique trouée, leur sac crevé, les yeux agrandis et vitreux, du sang plein la bouche. L’air était en feu, la terre tremblait, rien n’existait, que cette infernale mêlée.

L’ennemi ne semblait pas vouloir ralentir son attaque. Les guêpes méchantes des balles continuaient leur chant qui vibre, frôle et tue.

Le capitaine Bertrand avait repéré le nid de mitrailleuses qui décimaient ses hommes. Il fallait s’en emparer. Suivi d’une quarantaine de soldats, au milieu de la fureur grandissante du combat, ils se ruèrent à l’assaut des positions ennemies. Dans les hautes herbes, parmi les arbustes, dans la fumée, ils arrivèrent sur les Allemands sans que ceux-ci eussent le temps de les voir venir. Ce fut une lutte corps à corps. Des couples d’hommes dans un embrassement hideux, dans une étreinte convulsive, les jambes tendues, les bras enlacés, se broyaient les os, s’assommaient à coups de poings, s’affaissaient l’un sur l’autre, se tenant à la gorge d’où s’exhalait l’horreur. Le vainqueur enfonçait ses genoux dans la poitrine du vaincu, le piétinait dans un dernier hoquet.

Le peloton du capitaine Bertrand avait eu le dessus. Des corps d’Allemands gisaient, un filet rouge coulant de la bouche ouverte. Plusieurs Canadiens étaient tombés. Bertrand lui-même était blessé à la cuisse. Il avait senti comme une brûlure et s’était aperçu que du sang dégouttait sur ses souliers.

Les ennemis continuaient à tirer à terrain découvert d’une pièce qu’ils avaient dans un champ.