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les dépaysés

« Je reviendrai bientôt, mère. »

Il embrassa sa sœur et monta dans la voiture qui devait le mener à la gare et que son père conduisait. Lorsque les roues eurent fait entendre leurs derniers grincements sur les sables de l’allée qui tournait au coin de la maison, la vieille mère s’effondra sur un escabeau près de la porte et les larmes retenues à force de volonté commencèrent à s’échapper. Elle pleura sans plus se soucier du désordre de ses vêtements, sa capuche blanche de travers, ses minces cheveux descendant dans les yeux et se mouillant de ses larmes. Marthe s’approcha, mit un genou en terre, et l’enlaçant de ses deux mains, murmura :

« Il a dit qu’il reviendrait bientôt. »

Ces paroles prophétiques la ranimèrent et lui communiquèrent soudain une force inconnue. Elle se mit à la fenêtre et regarda la route par où était parti son fils. Elle était unie et morne. Lui rendrait-elle son enfant ? Et par un rapide déplacement de pensée, elle le voyait revenir glorieux, sain et sauf, et se levait pour aller à sa rencontre. Tout à coup, l’affeuse certitude la ramena à l’angoissante réalité. Le champ à droite que Paul avait labouré, semé, hersé, lui parut si triste qu’elle se figura qu’il refuserait, en signe de deuil et de protestation, de croître le grain qu’il y avait jeté. Près de la maison, au détour de l’avenue qui aboutissait au grand chemin, était une grosse roche. Elle était là depuis des temps immémoriaux, bien avant que cette maison fut bâtie. Elle s’était réjouie dans sa conscience lorsque l’ancêtre était venu s’établir près d’elle. Les pierres sont encore les amies des hommes. Depuis, elle avait vu passer plusieurs générations d’enfants qu’on