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les dépaysés

Des voisins désireux depuis longtemps d’acquérir cette belle propriété, profitant du désarroi de la famille, vinrent offrir au vieillard de l’acheter.

« C’est à Paul, » avait-il dit.

À la maison, les lettres fréquentes de l’absent soutenaient les espérances et les courages. Du camp canadien, de l’Angleterre, de France, des tranchées, il écrivait des lettres assidues, un peu toutes semblables, comme en écrivent les paysans, mais entre les lignes desquelles se lisent l’affection et les souvenirs de la maison paternelle. Elles étaient avidement scrutées par tous les membres de la famille jusqu’à ce qu’on les sût par cœur. Cependant, la vieille mère avait vieilli si rapidement que ses forces et sa mémoire s’en allaient sans paraître vouloir revenir. Le tremblement de ses mains et de sa tête s’était accentué à être maintenant continuel. Elle ne pouvait plus vaquer aux travaux sédentaires, tel que coudre, filer, qu’elle faisait depuis quelques années. Elle passait toutes ses journées à la même fenêtre, égrenant machinalement son chapelet. Quelquefois, oubliant qu’elle n’était pas seule, elle le récitait à demi-voix. Marthe constatait avec douleur qu’elle passait des mots. Elle ne disait plus que “Je vous salue, Marie, pleine de grâce” répété indéfiniment, sans jamais terminer la Salutation Angélique. Or, au commencement d’octobre, elle fut si faible qu’elle ne pût se lever. Elle n’interrompait plus sa prière jamais finie à laquelle elle mêlait le nom de Paul, Paul, un nombre innombrable de fois.

Le vieillard revenu des champs venait s’asseoir au chevet de la malade et lui demandait : “Comment te sens-tu, Adélaïde ? ”

Elle répondait invariablement :