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les dépaysés

Je suis mal à l’aise parmi tant de poètes et de poétesses, et mon ami, avec beaucoup de tact, me demande si je veux bien partir. En route il me parle des déboires du métier. Il fait de la critique avec un goût très sûr. Ce n’est pas de nature à lui concilier l’amitié de bien des auteurs.

« Savez-vous que quelqu’un m’a dit ces jours derniers, dans un moment d’amertume sans doute, que la critique ôtait la puissance de l’impuissance et cette autre phrase d’un de vos écrivains français que c’était un insecte qui se débat dans la crinière d’un lion. On croyait me mortifier sans doute, la critique serait tout cela si elle n’était que le relevé des imperfections. Heureusement la critique bien comprise est une large intelligence des divers aspects d’une œuvre. C’est la mise en valeur des rapports qui existent entre les agents et les circonstances qui l’ont fait naître. C’est déterminer exactement l’atmosphère où elle a pu éclore. Pourquoi nos auteurs se fâchent-ils quand on leur dit que leur dernier livre est la résultante de telle conséquence, de telle influence, de telle petite cause insignifiante en elle-même, qui a mis en branle toute une série d’agents qui ont produit cette œuvre ? »

« C’est peut-être que les auteurs se croient tous directement inspirés des muses, » lui ai-je dit. « Il n’y a pas de quoi vous inquiéter, l’avenir des lettres appartient à la critique. »

Il y aura toujours des hommes qui traiteront légèrement la critique et ne voudront y voir qu’une manière subjective et personnelle d’envisager un livre, mais le nombre de ceux qui se conforment à une critique objective, immuable et universelle, augmente tous les jours.