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les dépaysés

Il me demande si j’avais déjà éprouvé quelque chose de semblable. Je dus avouer que je n’étais pas du tout superstitieux et que je n’avais pas le don de ces rares sensations. Au reste, je savais depuis longtemps que Pan et les dieux Sylvains habitaient volontiers les bosquets de la Grèce, mais j’ignorais qu’ils habitassent aussi les forêts du Massachusett. Toutefois, je comprends son état d’âme, je comprends qu’un homme très épris de mythologie, nerveux, paganisant, arrive à ces sortes d’hallucinations.

Mon ami continue à me présenter ses confrères lorsque l’un d’entre eux me demande presque confidentiellement si je ne connais pas un auteur français à peu près inconnu qui puisse lui servir d’inspiration. Et je songe à ce que Coppée fait dire quelque part à l’un de ses personnages : « Qui donc pourrais-je imiter pour être original ? » Je voudrais avoir le courage de lui dire qu’il y a quelque chose de plus noble et de plus utile que de faire de la littérature. C’est de vivre sa vie harmonieusement dans l’état où nous appelle notre talent. C’est de cultiver l’amitié. Je voudrais aussi qu’il pût lire ce chapitre ou Lemaître parle de la frénésie d’écrire.

Bref je constate dans cette réunion qu’il y a une grande diversité dans la qualité des talents. Il y a des écrivains qui ont écrit quelque chose, et des choses fort belles, et il y a des écrivains qui n’ont jamais écrit et qui affectionnent ces assemblées parce qu’ils y trouvent une heure de gloire chaque mois. Je ne voudrais pas laisser croire que ces petites vanités ne sont qu’américaines. Elles sont universelles, on les retrouve partout où il y a des hommes. L’humanité a cela de particulier, plus elle varie plus elle se ressemble.