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les dépaysés

« Je suis irrité quand je songe que mes confrères de classe, poursuivit-il, les plus brillants végètent dans le prolétariat intellectuel tandis que les cancres, les queues de classes, se prélassent dans les hautes sphères de l’industrie et manipulent l’argent. »

Ce ne sont jamais les premiers de classes qui s’enrichissent, lui dis-je. Ce sont des idéalistes. Il en faut dans le monde. Leur action est bienfaisante. Pour cela n’allons pas croire que leur part de bonheur soit moindre que celle des coryphées de l’industrie. Ils ont en eux des ressources infinies de joies sereines que ne goûteront jamais les grands brasseurs d’affaires. Si vous faites de l’argent, le terme du succès, vous avez raison. Mais s’il consiste en une vie harmonieuse, embellie de toutes les allégresses d’un esprit orné, vous avez tort.

Sur ces entrefaites nous nous séparons et je me dirige vers mon hôtel. Dans le corridor je rencontre une dame qui est dans un état d’effervescence extraordinaire. Elle arrive du mont Sinaï et repart pour un autre mont aussi lointain. Elle fait une spécialité des monts. Elle a perdu une pièce de son bagage qui contient des souvenirs rares.

Après m’être un peu reposé, je vais visiter la Bibliothèque publique. Ils sont fortunés, ceux qui vivent à l’ombre de cette institution, de pouvoir puiser à ces trésors. Les salles sont presque pleines de lecteurs et de lectrices.

« Voyez-vous ces deux vieilles dames qui paraissent si absorbées à leur besogne », me dit le guide. « Depuis leur jeune âge qu’elles travaillent à édifier la théorie baconienne, qui veut que Shakespeare n’ait pas écrit l’œuvre qu’on lui attribue. El-