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LES DÉPAYSÉS

mière existence, il put réapprendre en quelques heures ce que l’enfant acquiert en quelques années.

Le paysan l’amena chez lui. On lui demanda son pays, son nom, il n’en savait rien. Ces questions n’avait pas de sens pour lui. On l’appela Monsieur Jean tout court. Bientôt il put aider ses bienfaiteurs à leurs travaux. Et le soir il réapprenait à lire et à écrire. Mais aucune lueur ne se projetait encore sur son passé. C’était toujours la nuit, toujours le néant.

À l’armée on le rapporta mort et disparu. Plusieurs de ses hommes l’avaient vu tomber. On ne l’avait pas retrouvé. Mais il était facile de croire qu’il avait dû être enterré, sans qu’on le reconnût, parmi tant d’autres.

Les autorités militaires communiquèrent la nouvelle à sa famille. Sa mère qui avait toujours prié pour lui depuis son départ, dit :

— Je n’ai pas assez prié.

Et il y eut une mère de plus qui pleura son fils.


II


Les jours passaient, Monsieur Jean était devenu un nouvel homme. Ses forces physiques lui furent peu à peu rendues, mais son visage restait plus pâle, plus amenuisé par la douleur, avec quelque chose de plus profond, de plus lointain dans le regard. C’étaient des yeux qui semblaient à certaines heures voir un autre monde. Il avait refait son éducation mais un rideau opaque était toujours tendu sur son passé. On eut beau l’interroger, fouiller ses vêtements pour y trouver un papier qui permit de l’identifier, son numéro de soldat avait été déchiré, son écusson perdu ; il eut beau chercher dans sa mémoi-