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les dépaysés

La chaleur était intense. Soudain l’orage éclate et la pluie tombe si abondante que l’eau ruisselle pendant quatre heures. Nous nous disons que cette fois-ci l’orage saura bien dissiper toute cette cohue. Il n’en est rien. Les automobiles continuent à s’entrecroiser dans les rues. Qui sait ? Ces gens étaient peut-être comme nous. Ils attendaient l’orage pour se promener plus librement.

Le soir, je suis l’hôte de Gaston Lachaise, sculpteur franco-américain dont l’œuvre est bien connue aux États-Unis et même au Canada. Il me reçoit avec la plus charmante courtoisie. Il m’ouvre ses cartons et me permet de fouiller. Je passe la soirée à regarder des esquisses, des ébauches, des miniatures, des dessins. Bien que je n’aie que des reproductions, je peux me former une idée d’une œuvre forte par la pensée, le mouvement et la vie. Je n’y vois rien d’acerbe et de tourmenté. C’est un art épris de la forme. Ses torses n’ont quelquefois ni âge, ni nom, ni localité. C’est la beauté elle-même façonnée dans une forme pure. C’est un édifice éloquent de la beauté animée où l’on sent l’envahissement d’un vaste repos.

Tout en causant, madame Lachaise me dit en parlant de New-York :

« Je déteste cette masse humaine qui bouge, grouille, fourmille. Il m’arrive quelquefois d’oublier que ce sont des hommes et des femmes pour croire que ce ne sont que des automates qui se meuvent sans pensée et sans vie. »

À voir ce fourmillement nous comprenons la justesse de cette remarque. Pourtant ce sont bien des hommes et des femmes qui vont, la figure ten-