Page:Raîche - Les dépaysés, c1929.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
73
les dépaysés

due, l’âme angoissée ou joyeuse, à leurs affaires, à leurs plaisirs ou à leur détresse.

En effet, la vie est si intense, si fébrile, tant de choses font appel à notre curiosité, tant d’activités diverses prennent possession de toutes nos facultés qu’il faudrait qu’un individu eût trois existences parallèles pour vivre cette vie dans toute son ampleur. Je ne m’étonne plus que toutes ces figures soient si inquiètes, si fiévreuses. La flamme de la grande ville les brûle sans répit.

Il y a trop de rues, trop de magasins, trop de boutiques, trop de lumière. Et la foule continue d’onduler. Les hommes sont habillés sans recherche, mais les femmes, montées sur des souliers aux talons d’une hauteur inquiétante, la figure hâtivement grimée, se démènent dans des toilettes tapageuses.

Madame Lachaise nous dit : « J’aime mieux les femmes de Boston qui vont lentement comme de belles statues, qui ont peur de nuire à leur beauté par trop de précipitation. »

Nous descendons dans la rue. Un relent de parfumerie et de cosmétique nous arrive de toute part. J’ai hâte de sortir de cette fournaise. Édouard Neagle, un jeune peintre américain que je connais, m’amène à son atelier. Il me montre un coin pittoresque de New-York. Il habite une mansarde austère comme un cloître où tout dénote la passion du travail, le culte de la perfection. Je comprends que dans un pays encore si utilitaire la vie de l’artiste soit un combat incessant pour éveiller le goût des choses de l’art chez ce peuple absorbé par les affaires. Il fait bon chez lui, car je me sens un peu isolé de cette furie parmi ces chevalets et ces toiles. Il m’amène