Page:Raîche - Les dépaysés, c1929.djvu/81

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
81
les dépaysés

par terre un magazine qu’il tient à la main et dit en grommelant : « Cette histoire est insipide. C’est écrit en style de professeur. » Ma curiosité est éveillée et je lui demande : « Qu’entendez-vous par style de professeur ? »

« C’est un style où l’on respecte la grammaire mais qui ne brille pas par l’originalité. »

« Le respect de la grammaire sert à quelque chose, lui dis-je. Il fait éviter bien des impairs. Quant à l’originalité, les professeurs sont comme le reste des hommes. Il y en a qui écrivent bien et il y en a qui écrivent mal. Ceux qui écrivent mal sont aussi bons citoyens que ceux qui écrivent bien et l’important est d’être honnête homme. Le reste est assez secondaire. »

« Vous ne les connaissez pas, poursuivit-il. Moi, je les connais. Je suis élève dans l’une de nos universités. Ils sont toujours si catégoriques. À les entendre on croirait qu’ils ont découvert la vérité. C’est un de vos auteurs français, Rémy de Gourmont, qui a dit : « Toute vérité est une illusion et toute illusion est une vérité. »

« D’abord parce que Gourmont a dit cela vous paraissez être certain qu’il ne pouvait se tromper. Il a dit bien des paradoxes pendant sa vie, désassocié bien des idées, nié bien des choses à commencer par la notion de patrie. »

« Mais au début des hostilités quand l’ennemi a envahi son pays, il n’a pas tardé à écrire un volume sous forme de lettres dans lequel il adore ce qu’il a brûlé et brûle ce qu’il a adoré. L’expérience vous apprendra qu’il y a une vérité absolue qui ne dépend pas du caprice des individus. Il serait pénible que