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les dépaysés

ans, dédaigna la regarder. Il s’en allait boire l’eau stagnante des étangs.

Au printemps, il recueillait, dans des jattes de terre, un peu de cette eau pour s’en désaltérer pendant les grandes chaleurs de l’été.

Les fruits aux rayons lumineux sous leur pelure languissaient dans l’attente des lèvres des hommes pour puiser à leur vie féconde. Sévérius détestait leur ovale velouté. Il les laissait tomber sur la terre et mourir de leur meurtrissures. Il s’en allait cueillir des feuilles diverses, les pillait et les macérait pour les introduire dans des vases de terre au col long et étroit. Et il se nourrissait de ce qu’il pouvait en retirer de ses doigts.

Un jour deux oiseaux dans un nimbe de clarté et de chanson vinrent s’aimer devant lui. Ce lui fut un crime si effroyable qu’il voulut l’expier. Il marcha jusqu’au soir pour trouver une fosse où il savait que deux hyènes avaient établi leur tanière, s’y jeta pour qu’elles le dévorassent. Les bêtes vinrent le flairer et s’en retournèrent, le regard indifférent.

Il avait emporté avec lui un rouleau de parchemin sur lequel étaient écrits quelques passages de la Bible. La récréation de cette lecture l’épouvanta. Il lança le rouleau dans un précipice.

Sévérius, ennemi de la vie, vécut soixante ans, sans sourire, sans aimer, sans voir un visage humain. Un soir pendant son rocailleux sommeil, il eut un songe. Une forme blanche et belle lui dit :

« Sévérius, à une demi-journée d’ici, il y a un homme plus parfait que toi. Lève-toi, va vers lui, demande-lui de t’enseigner le sentier de la vraie perfection. »

Il se leva, rajusta sur ses reins aigus le vête-