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Page:Raban - Justine, ou Les malheurs de la vertu, 1836.djvu/647

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JUSTINE.

vait nous compter ; et je crois que j’aurais fait, sans hésiter, le sacrifice de cette somme, bien que je ne possédasse rien pour acquérir la certitude qu’Éléonore partagerait quelque jour l’amour qu’elle m’avait inspiré… Je vois bien que cela vous étonne, mes enfans ; pensez-vous donc que cette vieille carcasse soit pétrie d’un autre limon que le reste des hommes ? Parce que je raisonne aujourd’hui, parce que je prends les choses pour ce qu’elles valent et les hommes pour ce qu’ils sont, est-ce à dire que mon cœur n’a jamais battu plus vite et plus fort qu’il ne fait aujourd’hui ?… Plus de trente ans se sont écoulés depuis que j’ai perdu cette femme adorée ; toutes les misères de la vie se sont ruées sur moi ; l’espèce humaine tout entière est déchaînée contre mon individu. C’est une meute affamée qui ne me laisse et ne me laissera jamais ni paix ni trêve, des maux de toute espèce ont desséché mon âme, flétri à jamais mon cœur… Eh bien